
Les âmes perdues
Plusieurs légendes à travers l’Europe rapportent des histoires de navires condamnés à errer jusqu'à la fin des temps avec à son bord des âmes damnées ou bien qui servent de paradis aux marins morts. Elles pourraient bien être à l’origine du mythe des vaisseaux fantômes. Dans certaines d’entre elles, il y est dit que les âmes des marins noyés ne peuvent franchir seules mers et océans. Les fantômes de ces marins perdus doivent monter à bord de la Bag Noz (barque de nuit). C’est pourquoi les veuves plaçaient une pièce dans la main de leurs maris afin que le batelier de la mort accepte d’emporter l’âme du défunt.
D’après une légende bretonne, les corps des marins qui avaient perdu la vie en mer venaient s’échouer dans la baie des Trépassés. Dans son livre intitulé "Légendes du Raz de Sein", l’écrivain Pierre-Jackez Hélias raconte que la baie des Trépassés est un lieu de rendez-vous des âmes des noyés qui attendent l’embarquement pour leur séjour dans l’autre monde. Dans les grottes du cap et du Van patientent les noyés qui n’ont pas encore racheté leurs fautes, tandis que les âmes des marins impies sont condamnées à errer jusqu’à la fin du monde.
Dans le roman, la rue des âmes perdues située sur l’île aux Brumes porte aussi la marque de ces légendes. Mais ces âmes perdues dont il est question ici sont également celles de certains journalistes du Petit quotidien qui ont perdu la leur suite à leurs compromissions vis-à-vis du tout-puissant Auguste Beaumanoir. Ces compromissions ne resteront pas sans conséquences. Elles scelleront le sort de tous ceux qui ont refusé de s’y plier à l’intérieur comme à l’extérieur de la rédaction. Ces âmes perdues sont donc tout autant celles de ces victimes en attente d’une réparation du tort qu’on leur a fait. Et sur Hugo, le dernier des Beaumanoir, planera longtemps l’âme maudite de son aïeul Archibald dont le souvenir ne cessera de le hanter et de le tourmenter à la manière d’un fantôme lui aussi en attente de quelque chose.
Illustration : "Tempête de mer avec épaves de navires", Claude Joseph Vernet (1770).